Tenet : "Le futur nous attaque"

 Cet article contient des SPOIL si vous n'avez pas vu le film.


Le film commence fort. Et je veux pas parler spectacle, sensations. 

Non, Tenet est un film qui s'entend fort. 

Des musiciens qui s'accordent comme dans "Bitter Sweet Symphony" (non c'est pas une image ça commence dans un opéra, ils s'accordent vraiment) ... et alors que les harmonies se rapprochent, les instruments sont accordés, la musique doit délicatement commencer ...

BAM
 

Le son, la violence qui les remplacent sont assourdissants.

C'est fort et prenant. Ca va trop vite,

Comment on est arrivés à ce moment ? A un tel niveau de destruction ?

Le fait est qu'il se tient à quelques minutes du début (secondes, en ressenti) un enjeu majeur. On est déjà dans le registre de la survie, celui de centaines de personnes endormies en quelques secondes dans un opéra alors que tout va sauter et qu'une pièce d'une valeur militaire importante se trouve là. On le sent, même si on ne comprend pas. C'est comme un instinct primal qui se met en route seul.

Toute cette scène suit John David Washington, surentrainé, probablement forces spéciales. Il court, fonce, sans nous laisser le temps de respirer, sans calculer. L'absence de sens persiste. Il peut très bien être du côté des assaillants, d'ailleurs il semble même que du côté forces spéciales tout le monde ne soit pas clairement du même bord. Impossible de savoir qui est avec qui.

Et là, il meurt. 

Une mort aussi rapidement ça n'est jamais arrivé. Pas si tôt. Pas comme ça. Désespoir du cinéphile : un type aussi résistant meurt aussi vite ? Mais c'est quoi ce film ?!

Écran noir. Fin de l'incipit. 

Mais non, ce n'est pas la fin, mais ça pèse. Lourd. Avale ta salive, il est pas mort. Ou peut-être que si. 

En fait, à la fin tu verras que ça n'a aucune importance en fait. 



Ce début, c'est comme le meilleur incipit de roman d'action qui trône dans ta bibliothèque, sauf que tu n'as toujours pas compris ce qu'il s'est passé.

Comme toujours, Christopher Nolan a tapé fort dans le théâtral, le sensationnel, le spectacle et l'intrigue est tout aussi époustouflante.

Je ne doute pas que l'intrigue sera plus claire au deuxième, ou troisième visionnage de Tenet, comme à chaque film du réalisateur.

Tenet, c'est le croisement de Mémento et d'Instellar, soupoudré d'une dose d'Inception ; le master Nolan sait où réside son talent, et il le montre. 



De Mémento, on retrouve la mémoire séparée, brisée, littéralement puisque le temps, le monde, la chronologie ( que ce soit dans le scénario lui-même ou dans la chronologie si on la réorganisait ). Tout n'est pas "normal". D'ailleurs, si on reconstituait la chronologie, on serait probablement obligé d'utiliser une forme géométrique autre que la ligne (je pense un cercle mais c'est peut-être une autre théorie...).

On retrouve le héro qui se bat seul face à une situation accablante dont il est la seule victime. "L'ignorance est une arme" nous dit Priya. Neil nous explique que ne rien dire c'est "le protocole à suivre" : on ne divulgue rien de plus de nécessaire. C'est la règle.

Et qui a mis en place se foutu protocole ? Bref, vous m'avez compris, on revient au point de départ. C'est un serpent qui se mord la queue.



"L'ignorance est une arme"

Qu'est ce que cette phrase est énervante ! Mais il faut lui reconnaitre sa véracité : l'ignorance est une arme. Ce genre de phrase, c'est toujours pour le personnage en position en force et qui choisit ou peut se permettre de cacher la vérité aux autres. Prenez des notes, c'est bon de connaitre les armes des autres. Connectez avec notre monde actuel, et vous aurez un concentré digne d'une masterclass. 

Et là, vous vous posez des questions. Les bonnes questions. Puisque c'est ça que fait le film, il vous bouscule un peu.

Que nous dit-on, vraiment, dans ce film ? Que cherche t il à soulever en vous et réveiller ?

Quelles questions très actuelles vous pose t il ?

Evidemment, si Nolan reprend des thèmes qu'il a déjà parcouru, ce n'est pas pour faire du réchauffé, il ne fait pas ça. C'est parce qu'il va soulever des questions majeures (#ConseildeFamille).

D'Inception, on retrouve le héro qui paye un lourd tribut pour sa réussite, la Réussite avec un grand R, celle qui arrive à la fin d'un film (l'aventurier(ère) sauve le monde aussi facilement que si on l'avait commandé au dessert, Astérix et Obélix rejoignent le buffet final et chantent des chansons paillardes en mangeant des sangliers, Lucky Luke chante sa chanson déprimante en s'éloignant vers l'horizon, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants dans une maison merveilleuse, ... bref, tu saisis). 

Mais, est ce que quelqu'un gagne vraiment à la fin de Tenet ?

Ce combat contre soi-même, présent dans la filmographie Nolan (Guy Pierce s'evertuant à combattre sa mémoire dans Memento, Matthew McConaughey en face à face avec le pire et le meilleur de lui-même à chaque instant, et bien sûr Cob face à son éternelle insanité/addiction/surintelligence dans Inception, et .... BATMAN ) est poussée à l'extrême dans Tenet.

On croit d'abord à un combat contre le mal, peut-être un combat contre le terrorisme, puis celui pour la survie, l'argent peut-être ? (oui avec des résonnances la bourse ou la vie... tel Clint Eastwood campé dans ses santiag face à la brute, un combat à mort, avec rien à la clé)... Loupé. Un combat interne ? Toujours pas.

Tenet c'est l'humanité qui se bat contre elle-même. Et ça c'est fort. "Le futur nous attaque"

"Leurs rivières sont sèches, leurs arbres sont morts, évidemment ils essaient de vivre là où il y a de la vie : dans le passé. Et s'ils sont prêts à nous tuer nous tuer, nous, leurs ancêtres, c'est parce que nous sommes responsables." 

RESPONSABLES.

 

D'ailleurs ils sont où ces "responsables", ceux vers qui on se tourne normalement quand on fait face à une crise internationale ? On ne verra pas un responsable de la CIA, un seul chef d'état, une seule chaîne de télévision, ou ... la police. Ils sont tous absents. Non nommés, non évoqués. Une voiture de police perplexe face à la situation, rapidement oubliée, pas vraiment synonyme d'ordre ou d'autorité.

Même pas craints. 

Ceux qui ont le pouvoir c'est les dealers d'armes, et ces "gens du futur" qu'on attend de voir débarquer façon Bane dans The Dark Knight Rises.

Il n'est absolument pas pertinent de faire appel aux représentants de pays, car ils n'ont aucun pouvoir sur ce qu'il se passe. On inverse pas les actions, on fait marche arrière. Il n'est pas question de remettre le système sur pied, il est en train de s'inverser. On inverse pas des actions, des lois, des comportements mais les objets, les gens, ... le monde ? On marche sur la tête, on marche à reculons, on vit à l'envers. Pas d'artifice, pas le temps pour un discours, et surtout pas de temps à perdre.

"Souviens toi, ce n'est pas le monde qui est à l'envers, c'est toi."


L'appareil construit pour inverser les objets trouve donc sa justification dans la logique la plus simple et la plus implacable : rien à faire de nos ancêtres, ils sont la raison pour laquelle nous sommes dans cette situation aujourd'hui. Le déclin de l'humanité, le futur qui s'auto-détruit, on ne fait que l'éviter, littéralement.

D'Inception, on croit retrouver une bande son lourde et intense, qui sera la trame, un thème scandé comme un Leitmotiv (Hans Zimmer dans le cas d'Inception). Dans Tenet, la musique se construit comme un souffle : elle grossit et s'expire immédiatement, mais sans toutefois disparaitre. Le son, comme chaque chose dans le film, a une texture, une présence, bien spécifique et différente, comme s'il prenait sa propre enveloppe de vie, s'émancipe et disparait, pour revenir une seconde plus tard, couvrant tout sur son passage.

Et le pire, c'est que, de cette fin du monde, de ce néant grossissant, nait une deuxième humanité, qui enroule les couloirs du temps que nous avons déroulés, et un projet incroyable, mené par un Protagonist qui ignore qu'il en est un.

Encore aucun sens, mais étrangement, de cette absurde guerre d'autoéventrement ou de destruction massive (bien plus grave que la menace nucléaire, on nous le redit), nait le projet le plus fou, le plus dingue, le plus magnifique qui va dans tous les sens (littéralement) et se replie comme un souffle.

De cette perpétuelle naissance, mort, croissance et destruction, on contemple, sans mots. Peut-être que c'est la fin du monde, ou peut-être que c'est l'humanité qui se sauve sans fin, jusqu'à la fin des temps, sans jamais désespérer ni flancher. C'est Cooper d'Interstellar qui est prêt à franchir le trou de ver de Saturne pour sauver l'humanité, sacrifiant tout.

Une fin anecdotique à ajouter à la série des toupies éternelle (ou pas?) d'Inception, de Shutter Island et sa prison (ou hopital ?), etc... 

Mais cette fin-là, ne finit pas bien, justement parce qu'elle ne finit pas. On aura pas de dernier retournement de situation qui va miraculeusement résoudre l'intrigue et autoriser un retour à la normale. pas de "Prestige" cette fois, mais un cercle interminable qui, s'il reste tel qu'il est, permet à tous de continuer à avancer un posant un pied devant l'autre, en déroulant la trame du temps.

- Tu connais le paradoxe ? Tu retournes dans le passé pour tuer ton grand père est ce que tu ruines dans le même temps la chaîne d'événements qui t'a créé?
- C'est quoi la réponse ?
- Bah y en a pas justement c'est le paradoxe. Bref, disons que nos dirigeants pensent que tu peux le tuer, peut être même le torturer et bien le faire souffrir au passage. 

 

C'est pour ça qu'encore plus que dans Instellar, on retrouve cette foi inébranlable en l'humanité. Ah oui, il faut en avoir pour être prêt à revivre ça à l'infini, sans jamais s'arrêter. 

Chaque décision que prend John David Washington Aka The Protagonist, dont la performance à l'écran m'a impressionnée, est une décision culottée, parfois risquée, souvent de plus en plus rock en Roll mais résolument héroïque.

Tel le héro de Christopher Nolan, The Protagonist ne lâche rien. Il est "une arme, une force qu'il faut lui reconnaître" comme dit lui-même l'acteur quand il parle de son rôle. Mieux encore, The Protagonist c'est "la postérité". Evidemment, puisque c'est à elle que le réalisateur s'adresse.