Memento (2000) de Christopher Nolan ou le processus blanco.



MEMENTO

Memento touche au thème de la mémoire, et plus particulièrement, à celle de Leonard Shelby, le personnage principal.

Cet homme n’a pas, dès le départ, une personnalité affirmée ni une identité précise, surtout aucune d'indication sur sa provenance. Le spectateur met ça sur le compte de son amnésie de la mémoire immédiate. Cette « condition » fait de lui un personnage qui se souvient de tout, sauf de ce qui s'est passé après que « sa femme ai été violée et assassinée par John G. » dit le tatouage sur son torse.
« Freaky tattoo » lui dira Natalie.
« Homemade tattoo » pourrait elle dire aussi.

Rien que d’y penser ça donne froid dans le dos.


MEMENTO


Il est à la recherche de cet homme, John G., qui a ruiné sa vie, l'empêchant de vivre normalement. Il a comme indice, un rapport de police épais comme un pavé (difficile à lire quand on a des problèmes de mémoire immédiate), son instinct, et ses tatouages glauquissimes. Evidemment, sans mémoire immédiate depuis une durée que lui-même ne connaît pas, il ne se souvient même pas les avoir faits, et les redécouvre à chaque fois qu'il prend sa douche.

Autant dire que tout cela nous laisse d'abord un peu sceptique. Comment quelqu'un peut il réellement vivre comme cela ? Il va falloir nous convaincre que cette mascarade est possible.


MEMENTO


Ce personnage, parlons encore un peu. Cette amnésie, n'est elle pas un peu originale ?

Il se souvient de tout, mais pas des choses récentes. Il oublie les gens aussitôt qu'il les rencontre et les photographie pour garder une trace. Pas de mémoire, mais des faits. Des photos, des traces écrites, rien d'oral. Monsieur a donc toujours un stylo sur lui.

C'est un enquêteur, un vrai. Les images en noir et blanc qui entrecoupent les images en couleur le prouvent : c'était son travail de percer à jour les gens qui essaient de flouer leur assurance avant son amnésie. C'est un rapace qui va enquêter partout. Une putain de fouine.


MEMENTO


Et c'est là que Christopher Nolan tient son fil conducteur. Le rapace privé de ce qu'il a de plus cher, sa mémoire, est donc obligé, pour survivre, de venger son passé, puisqu'il n'a plus que ça : des souvenirs qui datent de plusieurs mois, plusieurs années peut être. Quelle noblesse dans ses intentions.


MEMENTO


Memento est un film qui a une forme bien particulière et unique, et fait de lui un film captivant et qui attire la fascination de tous. C'est pour cela qu'il nous dupe aussi facilement.

Si nous nous rappelons, Inception, son précedent gros cachet, avait plusieurs vitesses et plusieurs niveaux à la fois : le rêve intégré dans le rêve, associé à une construction en deux parties ; la réalité vécue d'abord, dans laquelle les personnages préparent le rêve et le justifient, puis le rêve dans lequel les personnages dorment. L'effet est immédiat : le spectateur est face à un monde vaste, développé, construit dans le scénario lui-même. Évidemment, cette recherche de la complexification par la forme résulte d'un effet direct de réel.


INCEPTION


Nolan arrive donc avec des éléments complètement irréels à créer un monde qui paraît plausible, parce que tout jusqu'au moindre détail est étudié pour être au service du conte complètement fantastique qu'il nous sert, accompagné de forts effets spectaculaires. Très cool, bien joué Christopher.

Or, Memento est conçu sur le même principe général qu'Inception : une construction binaire qui favorise l'immersion puis, le spectateur étant bien tenu en laisse, il se laisse balader sans réagir. À partir du moment où Léonard justifie ses actes, et sa maladie, le spectateur est embarqué dans un univers psychologique rendu crédible par le personnage lui-même : s'il arrive à expliquer ce qui lui arrive, on ne peut que le croire.


MEMENTO


En contre partie, derrière les similitudes formelles avec Inception, Memento est un film profondément ancré dans une forme unique puisque qu'en plus de la logique binaire,le scénario fonctionne à l'envers de la logique temporelle.

En effet, on remonte dans chaque souvenir de Leonard, un par un, à chaque fois un tout petit plus ancien. À cela se superpose des images en noir et blanc où Leonard parle au téléphone avec une personne : ces moments sont à la fois essentiels pour comprendre le conditionnement qu'il s'inflige, rendre vraisemblable sa version des faits et nous permettre de mieux comprendre à la fin pourquoi elle est si nécessaire. À mi chemin du film, il commence notamment à évoquer le conditionnement que des scientifiques ont opérés avec Sammy Jankis : c'est la seule chose qui rend crédible son acharnement, sa précision, et permet à Nolan de dérouler son scénario tiré par les cheveux.

Pourtant, si son histoire est de plus en plus crédible au cours du temps, cela ne veut pas dire qu'elle est vraie. La dernière séquence du film, qui est en fait là où l'intrigue décolle, nous montre son vrai motif : un homme qui ne cherche pas la vérité, mais la fuit, pour mieux s'en inventer une autre.


MEMENTO


La construction à rebours nous fait donc très vite découvrir que derrière cette image sympathique d'un homme qui chercherait la vérité et sa vengeance, se cache un homme conditionné par lui-même à croire ses propres mensonges et plus encore, un homme qui va jouer de cette situation, pris dans le propre piège qu'il s'est posé. Ce n'est pas un règlement de comptes avec John G., c'est un règlement de comptes avec lui-même.

Toute la construction scénaristique de Nolan repose sur ce schéma tordu, d'aller de vérité en vérité pour nous, et pour Léonard de cacher une vérité, puis une autre, puis une autre, puis une autre, pour finir par tuer un homme, qu'il s'est fixé comme cible.


MEMENTO


La morale de l'histoire ?

Si Léonard avait vraiment quelque chose à venger, il ne serait pas obligé de se le tatouer sur le corps pour s'en souvenir. Il n'a pas vraiment de but, il n'a pas vraiment de vengeance, parce que son mensonge ne peut totalement recouvrir la vérité. Un jour, il le sait, il sera démasqué, et tout ce qu'il peut faire, c'est se faire croire à lui-même qu'il est un innocent mal jugé. D'ailleurs, le titre lui-même fait état de ce manque : Memento, souviens toi, mais de quoi ?

MEMENTO


Memento, thriller américain de Christopher Nolan
avec Guy Pearce, Carrie-Anne Moss et Joe Pantoliano
sorti pour la première fois le 5 septembre 2000 en Italie.

Récompenses :
- Critics' Choice Movie Award du meilleur scénario original,
- Independent Spirit Award de la meilleure actrice dans un second rôle pour Carrie-Anne Moss

BANDE ANNONCE :

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